
Plaidoyer pour la renaissance d’un art funéraire de bâtir
Depuis un moment déjà dans nos sociétés occidentales, la mort a cessé d’être une question matérielle. Il n’est, pour s’en convaincre, qu’à considérer le désintérêt quasi-complet de nos contemporains pour l’architecture funéraire. Celle-ci a laissé place à une industrie de parallélépipèdes et de plaques funéraires standardisés, le plus souvent en granit noir poli, alignés dans des cimetières et des crématoriums de plus en plus génériques, eux-mêmes devenus supports d’un décorum d’objets et de textes gravés, précédés pour la plupart de la mention « In Memoriam ». Le bruit des signes et des discours a recouvert le silence de la tombe. Les récits de vie, Wikipedia, se sont substitués à la pierre. Le théoricien de la littérature Alexandre Gefen le confirme : la littérature du deuil occupe une grande partie de la littérature actuelle ; elle est devenue une modalité sociale de consolation, compensant par bien des aspects les rites qui accompagnaient l’architecture funéraire.
Selon l’archéologue Alain Schnapp, « il y a deux manières de faire face au conflit entre stein [la pierre] et zeit [le temps]. L’une consiste à maîtriser la construction de la tombe, à ériger une trace de soi dans la pierre jusqu’à la consommation des siècles. L’autre est plus immatérielle puisqu’elle confie aux mots le soin de la mémoire. » Ces deux manières ne peuvent se substituer l’une à l’autre. Poser une pierre sur des cendres ou un corps mis en terre, c’est tout autre chose que prolonger une vie par le récit : c’est apaiser une détresse en la confiant à un matériau mis en forme pour tenir (dans) le temps. La tombe n’exonère pas du travail de mémoire ; son objet est de convertir une absence en un lieu marqué d’un repère à la fois spatial et temporel. Un repère amené à durer bien au-delà des nécrologies qui inondent aujourd’hui les réseaux sociaux.
Bien avant la révolution néolithique, alors que les humains étaient encore nomades, la demeure des morts était la seule qui ne bougeait pas, la seule qui exprimait un arrêt du temps. Dès qu’ils furent sédentaires, les premières grandes architectures que bâtirent les humains furent celles des tombeaux. Le goût pour le neuf, la transparence et la lumière qu’ont traduit les deux siècles qui viennent de s’écouler en Occident ont laissé dans l’ombre ce qui fut pourtant une des fonctions premières de l’architecture : sa capacité à honorer les morts. « Artiste, fuis la lumière des cieux ! Descends dans les tombeaux pour y tracer les idées à la lueur pâle et mourante des lampes sépulcrales ! », écrivait l’architecte Étienne-Louis Boullée à la fin du XVIIIe siècle, quelques années avant que ne se déploie la promesse de l’industrie. Au moment où cette promesse s’efface derrière les menaces qu’elle fait peser sur l’avenir, un besoin d’obscurité se fait sentir. Comment répondre aujourd’hui à ce besoin ? La conférence explorera la capacité de l’architecture à se ré-emparer de la mort et des rites funéraires, à refonder des artefacts primitifs à même d’initier de nouveaux attachements terrestres et de renouveler les liens entre les générations.
Paul Landauer est architecte, docteur en histoire de l’architecture (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2004) et habilité à diriger les recherches (HDR, Université Gustave Eiffel, 2019). Il est professeur à l’École d’architecture de la ville et des territoires Paris-Est – Université Gustave Eiffel depuis 2020, après y avoir été maître de conférence de 2007 à 2020. Il y a cofondé la filière de master Transformation qu’il dirige aujourd’hui. Il est chercheur à l’OCS/AUSser (UMR 3329 du CNRS), dont il a été directeur de 2016 à 2023.
Calendrier
Covoiturage
Partenaires
En partenariat avec le CAUE et le Syndicat des architectes de l’Ariège
Autour de la rencontre
19h45 – Repas partagé avec le restaurant Noï