Pratique artistique

D’ de Kabal, un artiste qui a la classe… virtuelle !

D’ de Kabal, rappeur slameur, metteur en scène associé à l’Estive, a été le premier artiste à subir les conséquences de la fermeture administrative des salles de spectacles. Son spectacle Fêlures, le silence des hommes, très attendu du public, dont les représentations étaient prévues les 13 mars à l’Estive et le 14 mars à Sainte-Croix Volvestre, a été annulé. Florence Lhomme, professeur de lettres au Lycée Gabriel Fauré, avait prévu de travailler sur le texte de D’ de Kabal avec ses élèves de seconde. Le confinement ne l’a pas arrêtée, au contraire, elle a organisé une correspondance entre l’artiste et ses élèves, dans le cadre de ses cours à distance.

Florence, comment vous est venue cette idée audacieuse de confronter la pensée d’un poète d’aujourd’hui à celle d’une poétesse du XVIème siècle ?

Dans le cadre d’un travail sur la poésie de Louise Labé, j’ai eu envie de faire un lien avec les textes de D’ de Kabal pour voir comment, chez ces deux artistes, la voix poétique déplace les lignes. En effet, femme dans un monde d’hommes au XVIème siècle, autrice d’une poésie sensuelle, Louise Labé surprend. Certains essayistes pensent même qu’elle est une fiction littéraire imaginée par un groupe de poètes. D’ de Kabal, quant à lui, défend un point de vue sur le masculin et, notamment ce qu’il appelle l’intégrisme masculin, qui tranche également avec les idées reçues sur les rappeurs. Lorsque le confinement est arrivé, mes élèves de Seconde et moi nous étions en plein travail sur les sonnets de la poétesse.

Comment avez-vous procédé pour dépasser ces conditions très contraignantes du confinement ?

C’est en classe virtuelle que les élèves ont découvert les textes de D’ de Kabal et des extraits de ses spectacles. Ils ont été saisis par cette parole forte, cette voix unique et cette écriture, sans concession. Il a fallu inventer des moyens pour rendre les échanges vivants et construire une vraie réflexion collective,
nous y sommes parvenus !

Les analyses de texte se sont confrontés sur des murs collaboratifs et nous avons écrit, à plusieurs mains, un dialogue imaginaire
entre D’ de Kabal et Louise Labé. J’ai envoyé le travail des élèves à D’ et il a été très agréablement surpris du regard porté par ces jeunes sur ses créations. C’est ainsi que nos échanges ont commencé. D’ de Kabal est venu en classe virtuelle répondre aux questions des élèves sur son parcours, ses choix d’écriture, son regard sur la société, mais aussi pour leur dire à quel point il avait été impressionné de la finesse de leurs analyses.

A l’issue d’une première rencontre, il a proposé à la classe d’analyser la pochette de son nouvel album, Désapprendre, à paraître en juin. C’est ainsi que, depuis, nous poursuivons nos échanges ! D’ nous donne du « travail », la pochette de son disque, un clip, des textes, et les élèves se lancent dans le questionnement, la recherche, toute cette petite archéologie littéraire qui nous occupe en cours de français. Avec une différence de taille, cependant : nous transmettons à l’artiste le fruit de nos analyses et il revient nous voir pour en discuter ! Ces échanges sont d’une richesse incroyable. Il est fréquent que l’analyse littéraire suscite souvent une forme de scepticisme, chez les jeunes. Vraiment, Madame, vous croyez que l’auteur a pensé à tout ça ? L’auteur, la plupart du temps mort et enterré, a bien du mal à répondre… Mais là, depuis un mois, l’auteur nous répond ! Imaginez le plaisir et la fierté d’adolescents entendant ces mots-là !

Pour la prof de français que je suis, ce projet est formidable pour eux. Il leur permet de donner du sens à ce que l’on fait en classe. Je sens que, pour eux, l’analyse littéraire, l’analyse d’image, devient un plaisir qu’ils s’amusent à creuser. Ils osent aller plus loin et dépasser leurs propres limites. Dans ces
échanges, D’ donne des clés de son travail artistique, mais il leur demande aussi comment ils se situent, eux, dans le monde d’aujourd’hui, ce qu’ils pensent de la place de la femme et de l’homme dans la société. Nous nous sommes dit que nous nous rencontrerions l’année prochaine et ce sera une belle occasion de prolonger, à l’air libre, la liberté qu’ensemble nous avons trouvée, confinés.

Témoignages des élèves

« Cette rencontre avec D de Kabal, même si elle n’était que virtuelle, m’a vraiment plu. Je n’ai pas l’habitude d’écouter ce genre de musique, et pourtant je trouve la sienne très inspirante. Il nous a parlé du métier de slameur, nous a montré ses oeuvres qui vont de la pièce de théâtre au clip vidéo sur YouTube. C’est d’abord la voix de ce slameur qui m’a le plus impressionnée. Mais ce sont ses textes, qui ont des sujets très actuels, que j’aime le plus : grâce au travail fait en classe virtuelle, nous avons pu les étudier, et les comprendre pour pouvoir réellement apprécier le travail de l’artiste et réfléchir à notre tour, à ce que dénonce D de Kabal. » Lilie-Rose

« J’étais content  de discuter avec D de Kabal, car il nous a tout dit de lui, il nous a raconté son enfance, comment il était à l’école, quelles matières il aimait et là où il était fort, les langues et le français, et comment il a réussi à faire de la musique et réussi à être celui qu’il est maintenant. Il nous a permis de le connaître un peu. Ce que j’ai apprécié surtout, c’est qu’ après notre première rencontre il a voulu revenir vers nous : en fait, avec notre professeure,  on a écrit l’analyse linéaire d’un de ses textes, qu’on lui a fait parvenir, et comme il a trouvé qu’on avait bien perçu ce qu’il ressentait, ce qu’il voulait raconter et voulait faire passer comme message, il s’est dit qu’il devait faire quelque chose de plus avec nous, il est revenu pour un cours en visioconférence et du coup, il est devenu, pour quelques cours, notre second professeur de français, et moi j’ai trouvé ça bien parce qu’on n’apprenait pas la grammaire, la conjugaison, mais on apprenait plutôt à discuter de textes qu’il avait écrits, à analyser certaines œuvres qu’il avait faites. Et puis c’était vraiment vivant de pouvoir échanger avec l’auteur, le créateur de textes alors qu’on travaille plus souvent des textes papiers qui nous semblent plus éloignés de nous. Pour le reste, je ne sais pas si je devrais le dire car il fallait garder le secret et moi ce qui m’a plu c’est qu’il nous fasse confiance et qu’il nous fasse partager la couverture de son prochain album, en fait il nous a fait partager ses œuvres, textes et couvertures et j’ai eu l’impression d’avoir créé un peu avec lui. » Noah

« J’ai beaucoup aimé cette rencontre virtuelle avec ce rappeur que je ne connaissais pas auparavant. Il nous a parlé de ses valeurs et des causes qu’il défendait. On avait déjà travaillé sur ces aspects de notre société et cela nous a permis d’approfondir nos premières réflexions. Il nous a aidé à mieux comprendre dans un premier temps son travail de rappeur (mais pas que) puis à analyser des travaux plus “modernes” qu’à l’habitude (le rap). Cette rencontre n’aurait surement pas été possible sans le confinement qui a finalement un point positif. » Mina

« On a pu voir que ce que nous, on avait fait, une simple analyse, du travail scolaire, ça pouvait toucher quelqu’un, l’auteur de ces textes ! Que notre travail comptait et que les cours avaient du sens. Il a dit qu’il s’était senti compris, et c’est assez rare qu’un adulte se dise compris par un groupe d’ados de 15 ans. Au bout d’un moment, on peut commencer à se demander à quoi ça sert, « analyser des textes. Ici ça a du sens. » Laïla

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2020-05-19T15:34:37+01:00
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